Pour quelles raisons Rome et la France de Mitterrand en ces années-là, voulaient en finir avec ce despote particulièrement pervers, intelligent et cruel ?

Extrait 1 du 18 juin 2009 (chapitre 11)

... Ernest Kombo est mort le 22 octobre 2008 à 14h10, au moment même où je m’apprêtais à pénétrer dans sa chambre à l’hôpital du Val de Grâce à Paris. Je n’aurai pas assez du temps qu’il me reste à vivre pour méditer sur le sens de ma présence à ses cotés, tout au long des seize mois que dura son étrange agonie.

Les raisons de sa mort sont quant à elle scellées dans les secrets de son dossier médical au Val de Grâce, où il fut soigné en sa qualité d’ancien chef d’état du Congo, responsabilité qu’il exerçât dans les années 90. Par sa dimension politique et religieuse, il était par ailleurs une personnalité hautement sensible dans le contexte préélectoral existant à Brazzaville, où des élections présidentielles doivent avoir lieu en juillet 2009. Ces élections devraient permettre de reconduire, sans aucun doute, à la tête du Congo, le dictateur qui, depuis 1977, préside aux destinées de ce pays ruiné et terrorisé. C’est Ernest Kombo qui, sans violence, en obtenant l’adhésion de tout un peuple, avait réussi à écarter ce dictateur du pouvoir en 1991.

Ce n’est pas sans de solides raisons que ce jésuite, consacré évêque par Jean Paul II en 1980, entièrement dévoué à Rome, s’engagea en politique en cette année 1991, et surtout, surtout ce n’est pas sans l’accord de Rome que cet évêque fut tout particulièrement désigné pour cet engagement très périlleux, et pour lui même et pour l’Eglise catholique. Pour quelles raisons Rome et la France de Mitterrand en ces années-là, voulaient en finir avec ce despote particulièrement pervers, intelligent et cruel ? Si le Seigneur m’avait mis sur les pas de ce pauvre Brazza oublié de tous, s’Il m’avait permis d’être le témoin de ces profanations, tant à Alger qu’à Brazzaville - qui laissèrent indifférents tous les Congolais et tous les Français concernés par cette vieille histoire emportée par le temps, les mensonges et surtout les flots de sang des St Barthélemy de toute l’Afrique Centrale, du Tchad au Congo - c’est pour témoigner publiquement d’un crime hautement symbolique et infiniment plus actuel.

Ce crime était le secret d‘Ernest Kombo et d’une élite française et catholique en charge des affaires africaines. Ma présence quotidienne auprès d’Ernest Kombo au cours des seize derniers mois de sa vie, durant lesquels j’exerçais à ses cotés la fonction de secrétaire du diocèse d’Owando, m’a permis de découvrir ce crime dans toute l’horreur de sa profondeur mystique. La mort d’Ernest Kombo libère ma parole et m’oblige à témoigner. ...

Extrait 2 du 19 juin 2009 (chapitre 11)

Au mois de juillet 2007 donc, je recevais de Kombo un appel de Brazzaville. Il me demandait d’aller le chercher à Roissy à l’arrivée du vol d’Air France vers 6h du matin. Je le retrouvais dans, un état de maigreur et de faiblesse indescriptibles. Il tremblait de tous ses membres, son regard était vide et sa main glacée. Je l’avais vu un mois auparavant déjà très affaibli.

Ce jour là j’avais assisté à une célébration de l’eucharistie qu’il présidait. J’avais été frappé, au moment de la consécration, par les tremblements de ses mains et par la perte, qu’il fit ce jour là, du fil de la cérémonie. Un jeune prêtre à ses cotés l’avait aidé à retrouver son souffle, le fil de sa lecture et ses gestes. Je n’avais pas osé alors lui faire part de mon inquiétude quand à sa santé, car il ne supportait plus que je lui pose la moindre question. Nous n’avions jamais reparlé de l’affaire Brazza, ni du dicastère de Monseigneur Poupard, ni même de mes contacts avec le père Maurice. Entre nous s’était installé un mode de relation qu’il voulait froid et distant. Ayant échoué dans toutes les missions qu’il m’avait confiées, j’acceptais le ton extrêmement autoritaire qu’il adoptait avec moi. J’étais, à ses cotés, pareil à un simple sacristain, cantonné dans l’exécution de modestes taches matérielles. Ce rôle me convenait.

A son arrivée à Roissy, j’osais à peine lui demander où se situait le siège de son mal. Il me répondit laconiquement sans autre commentaire : « - Je n’arrive plus à me nourrir. Conduis-moi à la rue de Grenelle, chez les jésuites. Je dois me rendre bientôt au Val de Grâce ».

Quelques temps après, il m’informait qu’il devait subir une opération de l’estomac. J’osais alors lui demander quelle était la nature de son mal. « Ils ne savent pas encore » me répondit-il. Il ne supportait pas que l’on s’inquiète de sa santé, secret entre Dieu, lui-même et ses médecins. Il subit cette lourde opération puis, m’a-t-il dit, des séances de chimio et de radiothérapie qui me laissaient deviner le traitement d’un cancer. Il ne me définit cependant jamais son mal ainsi. Etait-ce pour conjurer le sort ? Etait-ce parce qu’il s’agissait d’un autre mal ? Je ne le sus jamais. Jusqu’au mois de décembre 2007, il était nourri par sonde gastrique.

Cependant, malgré sa souffrance évidente, il continuait, de son lit d’hôpital, à gérer les affaires de son diocèse. Il m’en avait confié tout le travail de secrétariat. Son téléphone ne cessait de sonner et je sentais bien que les prêtres et les laïques en charge des affaires du diocèse au Congo, étaient tenus de faire des rapports circonstanciés de leur activité.

J’étais frappé par l’extrême rudesse du ton qu’il employait avec tous ses collaborateurs. Gare à celui qui lui posait une question inutile ou sans intérêt. J’étais traité avec la même rudesse. Il me semble que par le ton qu’il adoptait avec moi, il m’avait fait entrer dans le cercle assez fermé de ses proches collaborateurs.

Il m’avait confié les codes de son e-mail. Tous les jours, je lui apportais sa correspondance, à laquelle il me demandait de répondre en me dictant ses courriers. Vers le mois de janvier 2008, Il recommençait à se nourrir. Lentement, très lentement, tandis que son appétit revenait, je sentais que l’espérance retrouvait le chemin de son âme. Il me demandait de lui apporter de la papaye, des mangues et des goyaves.

J’étais désespéré de ne pouvoir lui trouver des goyaves, tout en me réjouissant de le voir déguster avec gourmandise les fruits de son enfance. Puis il sortit de l’hôpital pour retrouver sa chambre de convalescent de la rue de Grenelle. Caroline, ma secrétaire, l’installa du mieux que nous pûmes pour faciliter son travail et éclairer ses longues journées de convalescence. Si Ernest Kombo était toujours rude et silencieux avec moi, il était avec Caroline d’une extrême prévenance, s’inquiétant toujours de la charge de travail supplémentaire qu’il lui donnait. Il lui marquait des signes d’une tendresse paternelle qui nous avaient tous les deux extrêmement touchés. Plus qu’à moi-même, il lui avait donné sa totale confiance. Lorsque je lui rendais visite, le soir, avec mon épouse - « maman Suzanne » comme il aimait à l’appeler - son visage s’illuminait. Ernest Kombo se méfiait de tous les hommes, de tous leurs projets, de toutes leurs spéculations sur l’Eglise.

Il avait fini par n’avoir confiance que dans les femmes, les mamans comme il les appelait. Cette confiance totale qu’il mettait en elles, était, je crois, un trait tout à fait essentiel de son caractère et même de ses actions pastorales en Afrique. Pour lui, la femme était vraiment l’avenir de l’homme et surtout la seule espérance de l’Afrique. Peu à peu, en un mot, cet homme que j’avais vu s’effondrer, se dissoudre comme appelé par la mort, reprenait lentement le goût de la vie....

Extrait 3 du 22 juin 2009 (chapitre 11)

Après la visite que lui fit le Cardinal Diaz, Ernest Kombo entra vraiment dans la voie de la guérison. Trois soirs par semaine, je l’emmenais au restaurant de son choix.

« - Que voulez vous pour le dîner Monseigneur ? » Lui demandais-je.

« -Je rêve d’une choucroute », me répondait-il avec gourmandise.

Le soir suivant : « - Et ce soir que désirez vous manger ? - Je voudrais manger des tripes, jamais je n’en mangerais d’aussi bonnes que celles que me faisait ma mère ! » Il retrouvait un solide appétit, des forces nouvelles l’habitaient.

« - Vous semblez être sur un bon chemin, lui dis-je un soir. Je sens que vous allez beaucoup mieux.

- C’est vrai », me répondit-il. « A la surprise de tous… - Vous voulez dire à la surprise du corps médical ? »

Il me confirma qu’en effet le corps médical était surpris par la rapidité de son rétablissement qui semblait solide. Il ne restait plus de traces du mal. Il avait accepté, me confia-t-il, de faire partie d’un protocole d’étude spécifique visant à mieux comprendre l’épreuve qu’il venait de vivre et la guérison dans laquelle il venait d’entrer. Ernest Kombo semblait guéri ou tout au moins semblait entrer dans une longue rémission.

Un jour, vers le mois de juin 2008, je reçus sur l’e-mail du diocèse d’Owando un document qui interpella ma curiosité. Il s’agissait d’un rapport exécuté par un prêtre du diocèse de Brazzaville qui concernait l’organisation et la vie du petit musée dédié au Cardinal Biayenda. Né en 1927, Emile Biayenda fut créé Cardinal le 5 mars 1973 par le Pape Paul VI. Il fut assassiné dans la nuit du 18 au 19 mars 1977, quelques heures après l’assassinat du chef d’état du Congo qui était alors Marien Ngouabi.

Depuis l’assassinat du cardinal, dont les circonstances et les raisons ne furent jamais élucidées - tout au moins pour le peuple congolais et le grand public en général - un culte grandissant chaque jour depuis près de 30 ans - s’est développé autour de ce personnage unanimement reconnu et devenu légendaire au Congo. Des foules de plus en plus nombreuses se rendent sur les différents lieux qui, comme autant de stations d’un chemin de croix, marquent les étapes du calvaire des dernières heures de ce grand chef religieux

Le rapport que je reçus sur l’e-mail d’Ernest Kombo informait les évêques des différentes améliorations qui avaient été apportées dans le petit musée dédié à la mémoire du cardinal. Parmi les photographies qui l’illustraient, l’une d’entre elles retint plus particulièrement mon attention : on y reconnaissait le nonce apostolique au Congo, Monseigneur Andres Carascosa Coso, présentant à l’objectif ce qui semblait être un vêtement de couleur kaki (cf. annexe illustration). Lorsque je remis ce rapport à Ernest Kombo ce soir-là rue de Grenelle, je lui demandais des explications à propos de cet étrange cliché.

Pourquoi ce diplomate du Vatican montrait-il au public ce vêtement tel une relique? Quel en était le sens ? De bonne humeur ce soir là, il me répondit avec un sourire : « - Il s’agit de la soutane miraculeuse que portait le cardinal Biayenda le jour de son assassinat.

- Soutane miraculeuse ? Que voulez vous dire par miraculeuse ? - Vois-tu Hervé, comme chacun le sait et comme l’enquête officielle l’a établi au Congo, le cardinal Biayenda a été assassiné d’une rafale de mitrailleuse par l’adjudant Mamoye sur la montagne appelée aujourd’hui Montagne du Cardinal. Or, comme tu peux le voir, il n’y aucune trace de balle sur cette soutane. Les balles ont laissé intacts le corps et la soutane du Cardinal. Voilà le miracle.

- S’agit-il d’un vrai miracle ? » Demandais-je, stupéfait. « - Tu es vraiment stupide Hervé, comment veux-tu que cela soit possible ? Pourquoi y aurait-il eu un tel miracle ? Crois-tu que le Christ lui même ait effacé les plaies qui lui furent infligées sur la croix ? ».

Je mesurais la consternante naïveté d’enfant de choeur que j’eus pendant un instant....

lire la suite